Entre Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillierre : Jean Ranc
Parties concernées : L'art (partie II) + Annexe 5
Chapitres concernés : Le processus de création (chapitre 2) / L'atelier (pages 334-347) + Annexe 5 / Dictionnaire des élèves et collaborateurs de l'atelier (pages 614-615)
Nature de la mise à jour : Nouveaux éléments sur Jean Ranc
La maison de vente Leclère proposera le 8 novembre prochain un fort séduisant portrait de jeune femme [1] (Fig. 1), dans lequel nous avons proposé de voir une oeuvre de Jean Ranc (Montpellier, 1674-Madrid, 1735) [2], fils du peintre montpelliérain Antoine Ranc, mais surtout collaborateur de Hyacinthe Rigaud dont il épousa la nièce et Premier peintre du roi d'Espagne Philippe V.
Fig. 1 : Jean Ranc, Portrait de jeune femme inconnue en Flore, vers 1705-1710, collection particulière
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Nous avions pu examiner cette toile il y a de cela plus de six ans chez son propriétaire, en même temps qu'un portrait d'homme (Fig. 2), également proposé à la vente le 8 novembre [3]. Le catalogue publié pour l'occasion contenant quelques approximations, nous nous permettons de livrer dans le cadre de ce court billet des éléments correctifs d'analyse.
Fig. 2 : Entourage de Hyacinthe Rigaud, Portrait d'homme inconnu, vers 1690, collection particulière
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Le portrait d'homme reprend une composition caractéristique des portraits en buste que l'on trouve chez Hyacinthe Rigaud dans les années 1680 et 1690 (la perruque, ronde et haute, situe d'ailleurs davantage l'exécution du tableau dans la décennie 1690) : le modèle pose devant un fond neutre, généralement sombre, le corps drapé de profil dans un ample manteau qui dissimule la veste et dont le coloris monochrome est rompu par un effet de revers bienvenu et la blancheur de la dentelle du col, tandis que le visage est tourné vers le spectateur. D'obédience rigaldienne par sa composition, ce portrait n'en reste pas moins différent de la manière du maître, tant par son coloris - contrairement à ce qu'indique le catalogue, je considère justement la teinte vert olive du fond comme étrangère à l'univers de Rigaud - que par son modelé (notamment dans la façon dont les carnations, mais aussi les reflets du revers du manteau ou le dessin de la dentelle sont rendus).
Le portrait de jeune femme est à situer avant le départ de Jean Ranc en Espagne (et non en Italie comme l'indique une coquille dans le catalogue de vente) où sa présence est attestée dès 1722. La coiffure du modèle, ainsi que l'harmonie acidulée de la vêture, dominée par le manteau rose-orangé, que l'on pourra rapprocher utilement de celui de la robe de Pomone dans le fameux tableau de Montpellier (Fig. 3), militent en faveur d'une datation vers 1705-1710. On remarquera - nous y reviendrons en détail très prochainement - que l'attitude de la jeune femme n'est pas sans rappeler bien des portraits féminins de Rigaud : à la main droite levée tenant une fleur fait écho celle de Mme Pécoil (Fig. 4) peinte en 1701 par Rigaud [4], tandis que le pot placé en hauteur se rencontre également chez le maître de Ranc dans plusieurs portraits de dames qu'il convient selon nous de laisser pour l'instant dans l'anonymat [5]. Quant à la pièce d'estomac, rutilante comme une armure, qui parachève ce travestissement en Flore, elle regarde plutôt du côté de Nicolas de Largillierre qui en sertit et en gaine de façon récurrente (Fig. 5) [6] la taille de nombre de ses clientes.
Fig. 3 : Jean Ranc, Vertumne et Pomone, vers 1710-1722, Montpellier, musée Fabre, inv. 64.3.1
(c) Ariane James-Sarazin / droits réservés
Fig. 4 : Simon de La Vallée d'après Hyacinthe Rigaud, Portrait de Mme Pécoil, entre 1702 et 1709, Paris, BnF, département des Estampes et de la photographie, Da. 64 p. 121 [59]
(c) Paris, BnF
Fig. 5 : Nicolas de Largillierre, Portrait de la comtesse de Rupelmonde, vers 1707, collection particulière
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Notes
[1] Huile sur toile, H. 1,25 x L. 1,05 m, vente Leclère, 8 novembre 2017, lot 54, repr.
[2] Sur Ranc et son passage dans l'atelier de Hyacinthe Rigaud, voir Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome I : L'homme et son art, Dijon, Editions Faton, 2016, p. 233-237, 614-615 et passim, mais aussi Stephan Perreau, "Les années parisiennes de Jean Ranc", L’Estampille. L’Objet d’art, n° 475, novembre 2012, p. 38-47 et "Jean Ranc (Montpellier 1674-Madrid 1735) : œuvres méconnues ou retrouvées", Les Cahiers d'histoire de l'art, 2016, n° 14, p. 16-25.
[3] Huile sur toile ovale, H. 0,83 x 0,65 m, vente Leclère, 8 novembre 2017, lot 41, repr. (Entourage de Hyacinthe Rigaud, vers 1690).
[4] Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Editions Faton, 2016, n° P.753, p. 250-251. L'attitude est également présente dans le répertoire de Largillierre comme en atteste notre Fig. 5.
[5] Voir Ariane James-Sarazin, ibid., n° *P. 687, p. 231 et n° *P.689, p. 233.
[6] Pour n'en citer que quelques-unes : Mme de Sève, épouse de Barthélemy Jean Claude Pupil (1729, San Diego, Timken Art Gallery), Mme de Gueidan (1730, Aix-en-Provence, musée Granet), etc.
Pour citer cet article
Référence électronique
Ariane James-Sarazin, "Entre Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillierre : Jean Ranc", Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 16 octobre 2017, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2017/10/16/Entre-Hyacinthe-Rigaud-et-Nicolas-de-Largillierre-Jean-Ranc